jeudi 3 avril 2008
CALVAIRE (FABRICE DU WELZ, 2004)
Calvaire fait partie de ce genre de films auxquels il n’est pas évident de s’atteler, ces œuvres qu’il faut décider un moment à l’avance que l’on va s‘y plonger. Tout comme Irréversible de Gaspar Noé ou La Traque de Serge Leroy, ces films demandent du courage et de la concentration. Ce qui n’est pas toujours évident à garder, mais dans le cas de Calvaire, ça vaut vraiment le coup de rester attentif.
La tenue plus que correcte de ce film est quasiment improbable quand on pense qu’il s’agit là de la première œuvre de son auteur, cinéaste belge promis à un brillant avenir. Le scénario décline une histoire finalement très banale dans le genre fantastique, à savoir celui de l’individu qui tombe en panne au milieu de nulle part, et qui est recueilli par une personne étrange. Ce lieu commun suffit à lui seul à placer Calvaire dans la mouvance fantastique, ce qu’il n’est pourtant que du point de vue de l’imagerie. Car le récit va dérouler une trame tout ce qu’il y a de plus humain, dans le sens le plus mauvais et bestial du terme. Apre, cru et réaliste, Calvaire s’inscrit dans la veine des récits traumatiques terriblement humains qui dévoilent des aspects refoulés, et qui met en scène des êtres totalement perdus et pervertis.
Le choc que va causer cette brutalité va être accentué par les partis pris scénaristiques du réalisateur, qui va constamment jouer sur la perception du spectateur, en la faisant parfois coïncider avec celle de la victime, Marc Stevens, ou en prenant parfois le contrepoint total pour focaliser sur le mystérieux aubergiste Bartel. Un choix de narration qui n’est pas anodin et qui confirme la totale maîtrise du sujet, puisque ces basculements vont déstabiliser de plus en plus le spectateur, qui se demande à chaque fois où se trouve l’autre protagoniste. La tension générée par ce procédé aussi simple que redoutable va aller en s’aggravant avec la découverte progressive de la psyché de Bartel. Et toute l’intelligence de Du Welz et de Romain Protat (qui assurent à deux le scénario) est de ne pas faire de l’aubergiste un psychopathe complet, mais un être brisé et vacillant. Du coup, les sentiments à son égard sont mitigés et complexes, puisqu’ils mêlent la pitié au dégoût et à la peur.
Le choix des interprètes est primordial pour ce genre de film, et si Laurent Lucas est très bon dans le rôle de Marc Stevens, Jackie Berroyer est tout simplement exceptionnel dans celui de Bartel. Sa composition est d’un réalisme hallucinant, et il parvient à être totalement flippant tout en conservant cette impression de fragilité. Une prestation indéfinissable mais qui est pour beaucoup dans la réussite de ce film par ailleurs remarquable.
Pour revenir à la composition picturale du film, il faut souligner le très grand travail de Benoit Debie, qui habille littéralement le film dans des tonalités allant du rouge au blanc, en passant par un noir intégral. L’imagerie ainsi fabriquée est celle du conte, mais pas du tout celui pour les enfants, et Calvaire revêt alors ses oripeaux le caractérisant comme fantastique. En s’inscrivant juste à la frontière du genre, Du Welz donne une identité certaine à son œuvre, qui apparaît comme un cauchemar éveillé, tenant à la fois du réalisme et de l’hallucination. La scène incroyable du bar suffit à résumer le film, et prouve à quel point Du Welz peut être à la fois drôle et terriblement inquiétant!
Si vous savez apprécier les œuvres déviantes et hors du commun, et si vous êtes prêts à vous sentir oppressés, préparez-vous et tenter l’expérience Calvaire…
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6 commentaires:
Je l'ai vu y a longtemps à la tv, c'est vrai qu'il ne laisse pas indifférent.
Un très bon film.
je ne suis pasrticulièrement fan des films de torture ou qui se perdent dans un excès de glauque, mais là j'avoue avoir été bluffé par la maîtrise totale de Du Welz. Et son prochain Vinyan promet des réjouissances bien sombres également...
Plusieurs points me mettent en désaccord avec toi :
le principe du psychopathe pas si méchant que ça, humain en quelque sorte, ça n'a rien d'exceptionnel. Tout film un tant soit peu réaliste prend ce parti-pris.
J'ai personnellement trouvé la prestation de berroyer fade et ennuyeuse.
Quant à la scène du bar, elle très sympathique mais en (presque)total désaccord avec le ton du film.
Sinon, c'est culotté. J'aime beaucoup les dix dernières minutes.
Fade et ennuyeuse? Je crois que je ne n'arriverai jamais à te comprendre...
Sinon pour la scène du bar, elle est le seul moment d'humour du film; mais elle est aussi tendue comme le reste du film, et son absurdité teintée de violence latente correspond parfaitement à l'esprit du métrage.
Oui m'enfin, cette scène est loufoque et irréelle, élément qui jamais n'apparaîtront ailleurs dans le film.
Oui mais justement, et d'abord je suis presque d'accord avec toi mais surtout avec moi.
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