Abel Ferrara est un être résolument en marge du système hollywoodien. Après avoir fait ses débuts dans le porno avec Nine Lives of a wet pussy (sous le pseudonyme de Jimmy Boy L.), il enchaîne avec une œuvre torturée au possible et ô combien abominable, The Driller Killer, où il incarne lui-même un artiste maudit qui va se déchaîner avec une perceuse électrique. Il va ensuite alterner films radicaux et œuvres plus accessibles (entre Bad Lieutenant et Nos Funérailles, l’écart est énorme), mais le film qui le fera découvrir est certainement cet Ange de la Vengeance réalisé juste après The Driller Killer, et qui contient tous les germes des thématiques que le metteur en scène utilisera dans son oeuvre. Mais il est avant tout un film à la radicalité rare et à l’atmosphère poisseuse des plus réussies, dans la lignée des œuvres de William Lustig et Larry Cohen. Et surtout, L’Ange de la Vengeance est une œuvre d’une beauté noire rarement égalée.
Ce film de Ferrara est indissociable de son actrice principale Zoë Lund (connue aussi sous le nom de Zoë Tamerlis), qui EST littéralement cet ange noir. Son visage innocent et sa démarche timide font de cette jeune femme muette et sans relief une proie idéale dans une New York gangrenée par la violence, exclusivement masculine. Les deux viols qu’elle va subir dans la même journée vont totalement détruire sa personnalité, et va révéler des instincts insoupçonnés. A l’instar d’un Paul Kersey dans Un Justicier dans la Ville, sa vie va basculer dans une violence inouïe sans possibilité aucune de retour en arrière. Sauf qu’à l’inverse de Charles Bronson qui vengeait sa femme et sa fille, c'est la victime elle-même qui prend les armes afin de punir les criminels.
Le film de rape and revenge et plus globalement celui d’auto-justice, est un genre à part entière qui secoue les salles une bonne partie des années 70, avec notamment des œuvres comme Vigilante de William Lustig ou Day of the Woman de Meir Zarchi. Des films pas toujours réussis, mais souvent éprouvants et qui mettent le spectateur mal à l’aise en jouant avec sa position de voyeur privilégié. La figure si prude de Thana est à la fois attirante et distante, mais elle symbolise bien un fantasme typiquement masculin. Et la voir violée à deux reprises est à la fois une destruction d’une dimension sacrée, et une abomination qui va lui donner une dimension antinomique. La fleur fragile se charge de venin, et sa transformation physique et psychologique est construite avec un sens de la dramaturgie que ne laissait absolument pas prévoir le masturbatoire The Driller Killer.
L’image désormais célèbre de Thana en costume de nonne avec bas résille est lui aussi un fantasme purement masculin, et l’expérience dans le porno de Ferrara a apparemment bien servi! Zoë Lund est dangereusement belle et Ferrara la filme avec amour dans des gros plans et des poses iconiques de toute beauté. Thana/Zoë est un personnage hors norme qui transcende le média cinéma pour apparaître comme une figure culte et marquante. Sa manière d’embrasser les balles de son pistolet, la lenteur avec laquelle elle sort son arme de sous sa jupe... La connotation sexuelle est omniprésente et traitée avec une grâce et une sensualité qui place Thana au-delà d’une simple tueuse froide et déterminée. Elle est complètement traumatisée par son expérience, et en ressort complètement déphasée et calme.
Ce qui apparaît comme une vengeance justifiée prend des proportions de plus en plus dramatiques, puisque Thana (le diminutif de Thanatos?) va perdre progressivement pied, alors que paradoxalement elle va maîtriser de mieux en mieux son arme. La justice va se perdre en meurtres gratuits, et Thana poursuit son chemin de croix sanglant. La dimension religieuse va être malmenée comme à son habitude par Ferrara, et l’image de cette nonne en bas résille avec rouge à lèvre est très marquante. Une manière significative de pointer du doigt une religion qui est censée protéger, mais qui va être pervertie et totalement dévoyée. L’apparence de l’innocence devient l’un des atouts majeurs de Thana, et la vengeance de la pauvre fille muette va être dévastatrice.
La mise en scène somptueuse de Ferrara tient à la fois d’un réalisme cru montrant une violence frontale, et est teintée par intervalles de plans mâtinés de surréalisme, soulignant la lente érosion de la psyché de Thana. Le travail sur les cadrages ou les couleurs revêt alors une importance symbolique achevant de faire de L’Ange de la Vengeance un film aussi intelligent que sensitif. Et la musique de Joe Delia, Artie Kaplan et Don Payne est littéralement envoûtante.
L’Ange de la Vengeance peut être considéré comme un joyau sombre des 70’s, et sa beauté formelle teintée de désespoir n’a pas pris une ride. Et la beauté vénéneuse de la très rare Zoë Lund est parfaitement intacte…
6 commentaires:
J'ai un peu honte de le dire, mais je n'ai vu aucun film d'Abel Ferrara. Même King of New-York, que j'ai manqué plusieurs fois, reste absent de ma culture cinématographique.
Va falloir que j'y remédie.
Tu devrais découvrir des choses intéressantes, parce que même quand ses films sont moyens, Ferrara a une personnalité tellement étrange que ça imprime toujours une tonalité particulière à ses films. Sauf pour The Driller Killer!
Pas revu depuis une vision en VHS old school, j'avais déjà adoré à l'époque, du coup là en DVD, je devrais prendre mon pied !
Te connaîssant je dirais que c'est certain!
Les souvenirs de "driller killer" ne me sont pas mémorables, peut-être était-ce lié à mon adolescence...
Cependant cet "ange de la vengeance" s'avère bien plus attrayant, je te fais confiance el cruncho!
Et tu as bien raison M. Kouglof!
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