jeudi 20 mars 2008
CUJO (LEWIS TEAGUE, 1983)
Si l’on s’en réfère à sa filmographie mélangeant séries TV, téléfilms et cinéma, on pourrait presque croire que Lewis Teague est un yes-man sans aucune personnalité. Et au vu de ses Navy Seals- les Meilleurs ou Le Diamant du Nil, on pourrait bien être conforté dans cette opinion. Pourtant, hasard, prise de conscience ou illumination, il imprime cette adaptation de Stephen King d’une telle tension qu’il est impossible de ne pas voir les réelles qualités de mise en scène dont il fait preuve. Après le roman bien flippant du King paru en 1981, ce film n’est pas une extension simpliste mais constitue un vrai film de suspense dont le procédé n’est pas très éloigné des fameux Oiseaux de sir Alfred…
Tout d’abord, la caractérisation des personnages possède la subtilité et la profondeur des œuvres du maître de l’horreur, et la filiation avec le matériau littéraire de base est cohérente, tout en posant les assises d’un scénario qui va se suffire à lui-même. L’histoire de ce jeune couple avec enfant est décrite de manière si naturelle qu’elle offre en fait une vision plus globale sur la notion élémentaire de famille. La période délicate que passe le couple, les rapports entre les trois membres de la famille sont écrits avec soin, et les problèmes auxquels ils sont confrontés sont terriblement humains.
Le scénario ne va pas dérouler une histoire construite mécaniquement en plusieurs actes, mais va imbriquer les sentiments et les problèmes personnels des protagonistes dans le récit plus central de ce terrible chien. Le mérite de cette construction en revient évidemment à Stephen King pour qui l’aspect psychologique joue toujours pour une grande part dans la création de la peur. Et le début du film avec le jeune Tad qui se précipite dans son lit en espérant que son monstre du placard ne sortira pas est un hommage véritablement sincère à la peur enfantine chère au King. La caméra de Lewis Teague capte la naissance de cette peur dans le regard de Tad, mais aussi dans cette porte de placard filmée avec une grande intensité. Dès le départ, Teague prouve qu’il est à l’aise dans le monde de Stephen King, et la suite va lui donner entièrement raison.
L’histoire finalement simpliste de Cujo se trouve donc agrémentée d’une dimension psychologique très satisfaisante, et Lewis teague va encore appliquer une vision à la fois apocalyptique et minimaliste au récit de ce siège mené par le saint-Bernard enragé. Ses cadrages sont pensés avec une grande intelligence, et la fluidité de sa mise en scène est impressionnante. Le fameux plan d’ensemble de la voiture qui recule pour pivoter et finir sur Cujo surveillant ses proies est d’une efficacité tout aussi redoutable que la plume de Stephen King, et Teague va filmer le calvaire de la mère et de son fils avec un sens aigu du réalisme. On pourrait croire qu’un film qui se passe pour la majeure partie dans une voiture va devenir lassant au bout d’un moment, mais le réalisateur multiplie les angles de vue et les méthodes de filmage pour arriver à un résultat cohérent qui va faire monter crescendo la tension. Loin d’un film tape-à-l’œil qui se serait contenté de montrer la vilaine bébête en action à intervalles réguliers, Teague ménage un suspense diablement efficace en variant les points de vue: celui, essentiel, de la mère, mais aussi celui de Cujo, qui confère définitivement une aura diabolique au redoutable chien.
Les plans de Cujo sont à la limite du fantastique dans le sens où il apparaît comme l’incarnation physique du monstre tant redouté par Tad. Ce n’est qu’un banal chien que la rage a rendu fou, mais c’est dans le réalisme même de la mise en scène (qui n’est pas sans rappeler La Colline à des Yeux d’Aja) que surgit cette dimension démoniaque. Comme si le fantastique était tapi dans l’ombre, pas directement visible, mais pourtant bien présent. Cette façon de filmer est évidemment en totale adéquation avec les thématiques de l’œuvre de Stephen King, et Cujo apparaît comme l’une des meilleures adaptations d’un de ces romans, pas moins. L’utilisation des arrières-plans est excellente, et donne à la fois de l’air tout en enfermant doublement Donna et Tad. Et la musique entêtante de Charles Bernstein faite d’innocence menacée est remarquable.
Les maquillages sont d’un réalisme saisissant, et les effets de la déshydratation sont choquants, surtout sur le petit garçon. Mais le réalisme des effets de la rage sur le saint-Bernard est tel que l’on se demande s’il n’est pas réellement malade. La vision de ce terrible chien est véritablement inquiétante, et les dresseurs ont dû s’en donner à coeur joie pour tourner ce film.
Cette histoire de chien enragé qui aurait pu être une banale série B est magnifiée par une mise en scène captivante et inventive qui fait de Cujo un sommet du film de suspense. Sale bête va…
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6 commentaires:
Voilà en effet un film qui n'a pas à rougir devant certaines "adaptations" blasphématoires telles que "Pet Sematary" (une telle puissance romanesque réduite à si peu en film, c'était presque un exploit).
Pourtant, Cujo, à l'écran, reste un succédané relativement fade comparé au roman et à la puissance d'évocation du Maître.
Alors que les images devaient nous laisser pantois de terreur, nous nous rendons vite compte que les mots, finement ciselés, du roman étaient bien plus terrifiants.
Comme toujours avec King, il s'agit d'une spirale, d'un parcours logique et effroyable, rehaussé par son réalisme. Le chien est certes important mais il n'est qu'une partie de ce qui terrifie les personnages et de ce qui, finalement, aura raison d'eux.
Le monstre du placard existe.
King nous le dit depuis des années. Non, il nous le hurle. Et je sais qu'il a raison.
"Rien de mauvais pour vous" disait la pub (ou un truc dans le genre). Et pendant ce temps, les gamins, allergiques à un composant de leurs petits-déjeuners, vomissaient une saloperie rouge mais inoffensive.
Rien de mauvais, bordel !
Et la température monte, la canicule vient, avec dehors un monstre familier qui vous empêche de boire. Le monstre du placard n'existe pas ? Oh, quel vilain mensonge !
Il est légion.
Partout.
Et s'il ne gagne pas toujours à la fin, il ne perd jamais vraiment.
Parce que c'est un bête chien. Votre voisin. Un fil dénudé. Un virus à la con. Ou autre chose.
Le placard existe.
Et il renferme nos pires peurs. Les adultes essaient toujours un peu de sécuriser la porte, mais l'on sait tous qu'un jour, Il sera là, LE monstre, notre abomination personnelle, rendue plus forte par la météo ou je ne sais quelle alliée impromptue.
A la vision du film, l'on éprouve une certaine crainte envers les chiens.
A la lecture du livre, on est angoissé. Vaguement. Parce que l'on sait, parce que, quelque part, au plus profond, notre subconscient a fait ce subtil travail de traduction. Cujo est là. L'Homme en Noir aussi.
Et en face, il n'y a que nous. Prêts à tomber ou, au contraire, à accomplir des merveilles.
;o)
Yes je reconnais bien là ta passion pour le King! Pour ma part j'ai passé toute mon adolescence avec lui, en commençant par Ca que j'avais trouvé excellent. Puis au fur et à mesure je me les suis tous acheté, et franchement j'ai rarement été déçu. Puis un jour, j'ai arrêté de lire ses oeuvres. Plusieurs années après, j'ai réessayé, mais ce n'était plus la même chose. Cet écrivain m'a accompagné pendant plus d'une décennie, et il restera à jamais pour moi synonyme de mon adolescence, et je reste sur d'excellents souvenirs!
Un peu la même expérience. Et Cujo fut mon préféré. Il faut que je vois ce film.
Même expérience itou : souvenir impérissable de Ca, de La Part des Ténèbres,...
King est un grand romancier, même si son talent a fini par se diluer un peu (ou serait-ce le temps qui passe ?)
Tiens, on pourrait en parler de l'influence King sur nos jeunes crânes. Effectivement, 'ça' m'a coompagné tout un été, j'en garde un souvenir total. Ses recueils de nouvelles, j'adorais autant. Quant aux romans, je n'ai pas fait le tour entier de la question, mais "Chantier", "Le fléau", et "La tour sombre", putain c'était quelque chose !
C'est clair qu'il aura marqué mon imaginaire adolescent! Ses receuils de nouvelles comme Brume, ou sa très intéressante Anatomie de l'Horreur sont des pièces maîtresses de mes lectures d'antan...
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